Fernando Pessoa

 

” Il ne faut pas que l’Homme puisse voir son propre visage-car c’est ce qu’il y a de plus terrible. La Nature lui a fait ce don de ne pouvoir se regarder, comme de ne pouvoir se regarder dans les yeux.  Ce n ‘est que dans l’eau des rivières et des lacs qu’il pouvait contempler son visage. Et la posture même qu’il devait adopter était symbolique. Il lui fallait se pencher, se baisser pour commettre l’ignominie de se voir. L’inventeur du miroir a empoisonné l’âme humaine”

Fernando Pessoa

 

 

Paul Eluard ( Poésie) & Karel Teige ( Photomontage) – La Rose publique , 1964

 

Karel Teige - Paul Eluard - La Rose publique

Paul Eluard ( Poésie)   & Karel Teige ( Photomontage)  – La Rose publique , 1964 (traduit en tchèque par Veřejná růže)

Karel Teige - Paul Eluard - La Rose publique

Paul Eluard ( Poésie)   & Karel Teige ( Photomontage)  – La Rose publique , 1964 (traduit en tchèque par Veřejná růže)

Karel Teige - Paul Eluard - La Rose publique

Paul Eluard ( Poésie)   & Karel Teige ( Photomontage)  – La Rose publique , 1964 (traduit en tchèque par Veřejná růže)

Henri Michaux & Adorée Villany le Nu

« Le nu se porte très difficilement, c’est une technique de l’âme »
Henri Michaux In, Un Barbare en Asie, 1933

Dancer Adorée Villany, photoportrait, seated on ground, topless, right arm behind her with hand on ground, left arm raised above her head, bent at elbow., probably, 1910s

Dancer Adorée Villany, photoportrait, seated on ground, topless, right arm behind her with hand on ground, left arm raised above her head, bent at elbow., probably, 1910s

Ghislaine de Menten de Horne- Illustration pour Paul Valéry, La Jeune Parque, 1935

« Le poème La jeune Parque (1917) est réédité en 1935 par l’éditeur bruxellois Goossens. Le poème est un monologue  d’une femme en proie à un duel entre son corps et son esprit. Pour illustrer ce combat, l’artiste utilise les possibilités de l’eau-forte en couleurs pour mettre en image le rêve et la réalité. Dans les illustrations, on voit la jeune Parque encerclée par des spectres envoûtants et effrayants. L’auteur est satisfait: les paroles élogieuses de Valéry sont imprimées en fac-simile au début du volume. Ghislaine de Menten de Horne a 19 ans à l’époque.Elle suit des cours à l’Académie Julian de Paris et à l’atelier de Paul Bonnet.

En 1935, on annonce la parution d’une deuxième édition d’Album de vers anciens. Ce nouveau projet de Valéry a vu le jour lorsque l’auteur écrit une dédicace personnelle dans un exemplaire de son recueil de poèmes. En vue de cette édition Ghislaine de Menten de Horne créé 42 gravures sur cuivre. Le texte est entièrement composé et on procède à un premier le bon à paraître, mais le projet est arrêté à cause de la Seconde guerre mondiale. Une grande quantité de cuivre disparaît non utilisée dans l’atelier de l’artiste. » Musée Koopman

Voir la serie ici 

Ghislaine de Menten de Horne Qui pleure là?, 1935

Ghislaine de Menten de Horne6 Qui pleure là?, 1935

Qui pleure là, sinon le vent simple, à cette heure Seule, avec diamants extrêmes ?…
Mais qui pleure, Si proche de moi-même au moment de pleurer ?

Cette main, sur mes traits qu’elle rêve effleurer,
Distraitement docile à quelque fin profonde,
Attend de ma faiblesse une larme qui fonde,
Et que de mes destins lentement divisé,
Le plus pur en silence éclaire un coeur brisé.
La houle me murmure une ombre de reproche,
Ou retire ici-bas, dans ses gorges de roche,
Comme chose déçue et bue amèrement,
Une rumeur de plainte et de resserrement…
Que fais-tu, hérissée, et cette main glacée,
Et quel frémissement d’une feuille effacé
Persiste parmi vous, îles de mon sein nu ?…
Je scintille, liée à ce ciel inconnu…
L’immense grappe brille à ma soif de désastres.
Tout-puissants étrangers, inévitables astres
Qui daignez faire luire au lointain temporel
Je ne sais quoi de pur et de surnaturel ;
Vous qui dans les mortels plongez jusques aux larmes
Ces souverains éclats, ces invincibles armes,
Et les élancements de votre éternité,
Je suis seule avec vous, tremblante, ayant quitté
Ma couche ; et sur l’écueil mordu par la merveille,
J’interroge mon coeur quelle douleur l’éveille,
Quel crime par moi-même ou sut moi consommé ?…
… Ou si le mal me suit d’un songe refermé,
Quand (au velours du souffle envolé l’or des lampes)
J’ai de mes bras épais environné mes tempes,
Et longtemps de mon âme attendu les éclairs ?
Toute ?Mais toute à moi, maîtresse de mes chairs,
Durcissant d’un frisson leur étrange étendue,
Et dans mes doux liens, à mon sang suspendue,
Je me voyais me voir, sinueuse, et dorais
De regards en regards, mes profondes forêts.
J’y suivais un serpent qui venait de me mordre.

Quel repli de désirs, sa traîne !… Quel désordre
De trésors s’arrachant à mon avidité,
Et quelle sombre soif de la limpidité !
Ô ruse !… À la lueur de la douleur laissé
Je me sentis connue encor plus que blessée…
Au plus traître de l’âme, une pointe me naît ;
Le poison, mon poison, m’éclaire et se connaît :
Il colore une vierge à soi-même enlacée,
Jalouse…Mais de qui, jalouse et menacée ?
Et quel silence parle à mon seul possesseur ?

Dieux ! Dans ma lourde plaie une secrète soeur
Brûle, qui se préfère à l’extrême attentive.

Va ! je n’ai plus besoin de ta race naïve,
Cher Serpent… Je m’en ;ace, être vertigineux !
Cesse de me prêter ce mélange de noeuds
Ni ta fidélité qui me fuit et devine…
Mon âme y peut suffire, ornement de ruine !
Elle sait, sur mon ombre égarant ses tourments,
De mon sein, dans les nuits,mordre les rocs charmants ;
Elle y suce longtemps le lait des rêveries…
Laisse donc défaillir ce bras de pierreries
Qui menace d’amour mon sort spirituel…
Tu ne peux rien surmoi qui ne soit moins cruel,
Moins désirable… Apaise alors, calme ces ondes,
Rappelle ces remous, ces promesses immondes…
Ma surprise s’abrège, et mes yeux sont ouverts.
Je n’attendais pas moins de mes riches déserts
Qu’un tel enfantement de fureur et de tresse :
Leurs fonds passionnés brillent de sécheresse
Si loin que je m’avance et m’altère pour voir
De mes enfers pensifs les confins sans espoir…
Je sais…Ma lassitude est parfois un théâtre.
L’esprit n’est pas si pur que jamais idolâtre
Sa fougue solitaire aux élans de flambeau
Ne fasse fuir les murs de son morne tombeau.
Tout peut naître ici-bas d’une attente infinie.
L’ombre même le cède à certaine agonie,
L’âme avare s’entr’ouvre, et du monstre s’émeut
Qui se tord sur les pas d’une porte de feu…
Mais, pour capricieux et prompt que tu paraisses,
Reptile, ô vifs détours tout courus de caresses,
Si proche impatience et si lourde langueur,
Qu’es-tu, près de ma nuit d’éternelle longueur ?

Tu regardais dormir ma belle négligence…
Mais avec mes périls, je suis d’intelligence,
Plus versatile, ô Thyrse, et plus perfide qu’eux.
Fuis-moi ! du noir retour reprends le fil visqueux !
Va chercher des yeus clos pour tes danses massives.
Coule vers d’autres lits tes robes successives,
Couve sur d’autres coeurs les germes de leur mal,
Et que dans les anneaux de ton rêve animal
Halète jusqu’au jour l’innocence anxieuse !…
Moi, je veille. Je sors, pâle et prodigieuse,
Toute humide des pleurs que je n’ai point versés,
D’une absence aux contours de mortelle bercés
Par soi seule… Et brisant une tombe sereine,
Je m’accoude inquiète et pourtant souveraine,
Tant de mes visions parmi la nuit et l’oeil,
Les moindres mouvements consultent mon orgueil. »

Mais je tremblais de perdre une douleur divine !
Je baisais sur ma main cette morsure fine,
Et je ne savais plus démon antique corps
Insensible, qu’un feu qui brûlait sur mes bords :
Adieu, pensai-je, MOI, mortelle soeur, mensonge…

Harmonieuse MOI, différente d’un songe,
Femme flexible et ferme aux silences suivis
D’actes purs !… Front limpide, et par ondes ravis,
Si loin que le vent vague et velu les achève
Longs brins légers qu’au large un vol mêle et soulève,
Dites !… J’étais l’égale et l’épouse du jour,
Seul support souriant que je formais d’amour
À la toute-puissante altitude adorée…
Quel éclat sur mes cils aveuglément dorée,
Ô paupières qu’opprime une nuit de trésor,
Je priais à tâtons dans vos ténèbres d’or !
Poreuse á l’éternel qui me semblait m’enclore,
Je m’offrais dans mon fruit de velours qu’il dévore ;
Rien ne me murmurait qu’un désir de mourir
Dans cette blonde pulpe au soleil pût mûrir :
Mon amère saveur ne m’était point venue.
Je ne sacrifiais que mon épaule nue
À la lumière ; et sur cette gorge de miel,
Dont la tendre naissance accomplissait le ciel,
Se venait assoupir la figure du monde.
Puis, dans le dieu brillant, captive vagabonde,
Je m’ébranlais brûlante et foulais le sol plein,
Liant et déliant mes ombres sous le lin.
Heureuse ! À la haut eut de tant de gerbes belles,
Qui laissait à ma robe obéir les ombelles,
Dans les abaissements de leur frêle fierté
Et si, contre le fil de cette liberté,
Si la robe s’arrache à la rebelle ronce,
L’arc de mon brusque corps s’accuse et me prononce,
Nu sous le voile enflé de vivantes couleurs
Que dispute ma race aux longs liens de fleurs !

Je regrette à demi cette vaine puissance…
Une avec le désir, je fus l’obéissance
Imminente, attachée à ces genoux polis ;
De mouvements si prompts mes vœux étaient remplis
Que je sentais ma cause à peine plus agile !
Vers mes sens lumineux nageait ma blonde argile,
Et dans l’ardente paix des songes naturels,
Tous ces pas infinis me semblaient éternels.
Si ce n’est, ô Splendeur, qu’à mes pieds l’Ennemie,
Mon ombre ! la mobile et la souple momie,
De mon absence peinte effleurait sans effort
La terre où je fuyais cette légère mort.
Entre la rose et moi je la vois qui s’abrite ;
Sur la poudre qui danse, elle glisse et n’irrite
Nul feuillage, mais passe, et se brise partout…
Glisse ! Barque funèbre…

Et moi vive, debout,
Dure, et de mon néant secrètement armée,
Mais, comme par l’amour une joue enflammée,
Et la narine jointe au vent de l’oranger,
Je ne rends plus au jour qu’un regard étranger…
Oh ! combien peut grandir dans ma nuit curieuse
De mon coeur séparé la part mystérieuse,
Et de sombres essais s’approfondir mon art !…
Loin des purs environs, je suis captive, et par
L’évanouissement d’arômes abattue,
Je sens sous les rayons, frissonner ma statue,
Des caprices de l’or, son marbre parcouru.
Mais je sais ce que voitmon regard disparu ;
Mon oe il noir est le seuil d’infernales demeures !
Je pense, abandonnant à la brise les heures
Et l’âme sans retour des arbustes amers,
Je pense, sur le bord doré de l’univers,
À ce goût de périr qui prend la Pythonisse
En qui mugit l’espoir que le monde finisse.
Je renouvelle en moi mes énigmes, mes dieux,
Mes pas interrompus de paroles aux cieux,
Mes pauses, sur le pied portant la rêverie
. Qui suit au miroir d’aile un oiseau qui varie,
Cent fois sur le soleil joue avec le néant,
Et brûle, au sombre but de mon marbre béant.

Ô dangereusement de son regard la proie !
Car l’oe il spirituel sur ses plages de soie
Avait déjà vu luire et pâlir trop de jours
Dont je m’étais prédit les couleurs et le cours.
L’ennui, le clair ennui de mirer Ieur nuance,
Me donnait sur ma vie une funeste avance :
L’aube me dévoilait tout le jour ennemi.
J’étais à demi morte ; et peut-être, à demi
Immortelle, rêvant que le futur lui-même
Ne fût qu’un diamant fermant le diadème
Où s’échange Ie froid des malheurs qui naîtront
Parmi tant d’autres feux absolus de mon front.

Ghislaine de Menten de Horne Souvenir, 1935

Ghislaine de Menten de Horne Souvenir, 1935

Osera-t-il, le Temps, de mes diverses tombes,
Ressusciter un soir favori des colombes,
Un soir qui traîne au fil d’un lambeau voyageur
De ma docile enfance un reflet de rougeur,
Et trempe à l’émeraude un long rose de honte ?
Souvenir, ô bûcher, dont le vent d’or m’affronte,
Souffle au masque la pour prc imprégnant le refus
D’être en moi-même en flamme une autre que je fus…
Viens, mon sang, viens rougir la pâle circonstance
Qu’ennoblissait l’azur de la sainte distance,
Et l’insensible iris du temps que j’adorai !
Viens consumer sur moi ce don décoloré
Viens ! que je reconnaisse et que je les haïsse,
Cette ombrageuse enfant, ce silence complice,
Ce trouble transparent qui baigne dans les bois…
Et de mon sein glacé rejaillisse la voix
Que j’ignorais si rauque et d’amour si voilée…
Le col charmant cherchant la chasseresse ailée.

Mon coeur fut-il si près d’un coeur qui va faiblir ?

Fut-ce bien moi, grands cils qui crus m’ensevelir
Dans l’arrière douceur riant à vos menaces…
Ô pampres ! sur ma joue errant en fils tenaces,
Ou toi… de cils tissue et de fluides fûts,
Tendre lueur d’un soir brisé de bras confus ?

« Que dans le ciel placés, mes yeux tracent mon temple !
Et que sur moi repose un autel sans exemple ! »
Criaient de tout mon corps la pierre et la pâleur…
La terre ne m’est plus qu’un bandeau de couleur
Qui coule et se refuse au front blanc de vertige…
Tout l’univers chancelle et tremble sur ma tige,
La pensive couronne échappe à mes esprits,
La mort veut respirer cette rose sans prix
Dont la douceur importe à sa fin ténébreuse !
Que si ma tendre odeur grise ta tête creuse,
Ô mort, respire enfin cette esclave de roi :
Appelle-moi, délie !… Et désespère-moi,
De moi-même si lasse, image condamnée !
écoute… N’attends plus… La renaissante année
À tout mon sang prédit de secrets mouvements :
Le gel cède à regret ses derniers diamants…

Demain, sur un soupir des Bontés constellées,
Le printemps vient briser les fontaines scellées :
L’étonnant printemps rit, viole… On ne sait d’où
Venu ?Mais la candeur ruisselle à mots si doux
Qu’une tendresse prend la terre à ses entrailles…
Les arbres regonflés et recouverts d’écailles
Chargés de tant de bras et de trop d’horizons,
Meuvent sur le soleil leurs tonnantes toisons,
Montent dans l’air amer avec toutes leurs ailes
De feuilles parmilliers qu’ils se sentent nouvelles…
N’entends-tu pas frémir ces noms aériens,
Ô Sourde !… Et dans I’espace accablé de liens,
Vibrant de bois vivace infléchi par la cime,
Pour et contre les dieux ramer l’arbre unanime,
La flottante forêt de qui les rudes troncs
Portent pieusement à leurs fantasques fronts,
Aux déchirants départs des archipels superbes,
Un fleuve tendre, ô mort, et caché sous les herbes ?

Quelle résisterait, mortelle, à ces remous ?
Quelle mortelle ?

Moi si pure, mes genoux
Pressentent les terreurs de genoux sans défense…
L’air me brise. L’oiseau perce de cris d’enfance
Inouïs…l’ombre même où se serre mon coe ur,
Et roses !mon soupir vous soulève, vainqueur
Hélas ! des bras si doux qui ferment la corbeille…
Oh ! parmi mes cheveux pèse d’un poids d’abeille,
Plongeant toujours plus ivre au baiser plus aigu,
Le point délicieux de mon jour ambigu…
Lumière !… Ou toi, la mort !Mais le plus promptme prenne !…
Mon coe ur bat ! mon coe ur bat !Mon sein brûle et m’entraîne !
Ah ! qu’il s’enfle, se gonfle et se tende, ce dur
Très doux témoin captif de mes réseaux d’azur…
Dur enmoi…mais si doux à la bouche infinie !…

Chers fantômes naissants dont la soif m’est unie,
Désirs ! Visages clairs !… Et vous, beaux fruits d’amour,
Les dieux m’ont-ils formé ce maternel contour
Et ces bords sinueux, ces plis et ces calices,
Pour que la vie embrasse un autel de délices,
Où mêlant l’âme étrange aux éternels retours,
La semence, le lait, le sang coulent toujours ?
Non ! L’horreur m’illumine, exécrable harmonie !
Chaque baiser présage une neuve agonie…
Je vois, je vois flotter, fuyant l’honneur des chairs
Des mânes impuissants les millions amers…
Non, souffles ! Non, regards, tendresses… mes convives,
Peuple altéré de moi suppliant que tu vives,
Non, vous ne tiendrez pas de moi la vie !… Allez,
Spectres, soupirs la nuit vainement exhalés,
Allez joindre des morts les impalpables nombres !
Je n’accorderai pas la lumière à des ombres,
Je garde loin de vous, l’esprit sinistre et clair…
Non ! Vous ne tiendrez pas demes lèvres l’éclair !…
Et puis… mon coe ur aussi vous refuse sa foudre.
J’ai pitié de nous tous, ô tourbillons de poudre !

Grands Dieux ! Je perds en vous mes pas déconcertés !

Ghislaine de Menten de Horne-Abandonne-toi vive aux serpents ,  Illustration for Paul Valéry’s La Jeune Parque, 1935

Ghislaine de Menten de Horne-Abandonne-toi vive aux serpents , Illustration for Paul Valéry’s La Jeune Parque, 1935

Je n’implorerai plus que tes faibles clartés,
Longtemps sur mon visage envieuse de fondre,
Très imminente larme, et seule à me répondre,
Larme qui fais trembler à mes regards humains
Une variété de funèbres chemins ;
Tu procèdes de l’âme, orgueil du labyrinthe,
Tume portes du coe ur cette goutte contrainte,
Cette distraction demon suc précieux
Qui vient sacrifier mes ombres sur mes yeux,
Tendre libation de l’arriére-pensée !
D’une grotte de crainte au fond demoi creusée
Le sel mystérieux suinte muette l’eau.
D’où nais-tu ? Quel travail toujours triste et nouveau
Te tire avec retard, larme, de l’ombre amère ?
Tu gravis mes degrés de mortelle et de mère,
Et déchirant ta route, opiniâtre faix,
Dans le temps que je vis, les lenteurs que tu fais
M’étouffent… Je me tais, buvant ta marche sûre…
– Qui t’appelle au secours de ma jeune blessure !

Mais blessures, sanglots, sombres essais, pourquoi ?
Pour qui, joyaux cruels, marquez-vous ce corps froid,
Aveugle aux doigts ouverts évitant l’espérance !
Où va-t-il, sans répondre à sa propre ignorance,
Ce corps dans la nuit noire étonné de sa foi ?
Terre trouble… et mêlée à l’algue, porte-moi,
Porte doucement moi…Ma faiblesse de neige,
Marchera-t-elle tant qu’elle trouve son piège ?
Où traîne-t-il, mon cygne, où cherche-t-il son vol ?
… Dureté précieuse… Ô sentiment du sol,
Mon pas fondait sur toi l’assurance sacrée !
Mais sous le pied vivant qui tâte et qui la crée
Et touche avec horreur à son pacte natal,
Cette terre si ferme atteint mon piédestal.
Non loin, parmi ces pás, rêve mon précipice…
L’insensible rocher, glissant d’algues, propice
À fuir (comme en soi-même ineffablement seul),
Commence… Et le vent semble au travers d’un linceuil
Ourdir de bruits marins une confuse trame,
Mélange de la lame en ruine, et de rame…
Tant de hoquets longtemps, et de râles heurtés,
Brisés, repris au large… et tous les sorts jetés
éperdument divers roulant l’oubli vorace.,.

Hélas ! de mes pieds nus qui tmuvera la trace
Cessera-t-illongtemps de ne songer qu’à soi ?

Terre trouble, etmélée à l’algue, porte-moi !

Mystérieuse MOI, pourtant, tu vis encore !
Tn vas te reconnaître au lever de l’aurore
Amèrement lamême…
Unmiroir de la mer
Se lève… Et sur la lèvre, un sourire d’hier
Qu’annonce avec ennui l’effacement des signes,
Glace dans l’orient déjà les pâles lignes
De lumière et de pierre, et la pleine prison
Où flottera l’anneau de l’unique horizon…
Regarde : un bras très pur est vu, qui se dénude.
Je te revois, mon bras… Tu portes l’aube…

Ô rude
Réveil d’une victime inachevée… et seuil
Si doux… si clair, que flatte, affleurement d’écueil,
L’onde basse, et que lave une houle amortie !…
L’ombre qui m’abandonne, impérissable hostie,
Me découvre vermeille à de nouveaux désirs,
Sur le terrible autel de tous mes souvenirs.
Là, l’écume s’efforce à se faire visible ;
Et là, titubera sur la barque sensible
À chaque épaule d’onde, un pêcheur éternel.
Tout va donc accomplir son acte solennel
De toujours reparaître incomparable et chaste,
Et de restituer la tombe enthousiaste
Au gracieux état du rire universel.

Salut ! Divinités par la rose et le sel,
Et les premiers jouets de la jeune lumière,
Îles !… Ruches bientôt quand la flamme première
Fera que votre rocbe, îles que je prédis,
Ressente en rougissant de puissants paradis ;
Cimes qu’un feu féconde à peine intimidées,
Bois qui bourdonnerez de bêtes et d’idées,
D’hymnes d’hommes comblés des dons du juste éther,
Îles ! dans la rumeur des ceintures de mer,
Mères vierges toujours,même portant ces marques,
Vous m’êtes à genoux de merveilleuses Parques :
Rien n’égale dans l’air les fleurs que vous placez,
Mais dans la profondeur, que vos pieds sont glacés !

De l’âme les apprêts sous la tempe calmée,
Ma mort, enfant secrète et déjà si formée,
Et vous, divins dégoûts qui me donniez l’essor,
Chastes éloignements des lustres de mon sort,
Ne fûtes-vous, ferveur, qu’une noble durée ?
Nulle jamais des dieux plus près aventurée
N’osa peindre à son front leur souflle ravisseur,
Et de la nuit parfaite implorant l’épaisseur,
Prétendre par la lèvre au suprême murmure.

Je soutenais l’éclat de lamon toute pure
Telle j’avais jadis le soleil soutenu…
Mon corps désespéré tendait le torse nu
Où I’âme, ivre de soi, de silence et de gloire,
Prête à s’évanouir de sa propremémoire,
écoute, avec espoir, frapper au mur pieux
Ce coe ur, – qui se ruine à coups mystérieux
Jusqu’à ne plus tenir que de sa complaisance
Un frémissement fin de feuille, ma présence…
Attente vaine, et vaine… Elle ne peut mourir
Qui devant son miroir pleure pour s’attendrir.

Ô n’aurait-il fallu, folle, que j’accomplisse
Ma merveilleuse fin de choisir pour supplice
Ce lucide dédain des nuances du sort ?
Trouveras-tu jamais plus transparentemort
Ni de pente plus pure où je rampe àma perte
Que sur ce long regard de victime entr’ouverte,
Pâle, qui se résigne et saigne sans regret ?
Que lui fait tout le sang qui n’est plus son secret ?
Dans quelle blanche pais cette pourpre la laisse,
À l’extrême de l’être et belle de faiblesse !
Elle calme le temps qui la vient abolir,
Lemoment souverain ne la peut plus pâlir,
Tant la chair vide baise une sombre fontaine !
Elle se fait toujours plus seule et plus lointaine…
Etmoi, d’un tel destin, le coe ur toujours plus près,
Mon cortège, en esprit, se berçait de cyprès…
Vers un aromatique avenir de fumée,
Je me sentais conduite, offerte et consumée ;
Toute, toute promise aux nuages heureux !
Même, je m’apparus cet arbre vaporeux,
De qui Ia majesté légèrement perdue
S’abandonne à l’amour de toute l’étendue.
L’être immenseme gagne, et de mon coe ur divin
L’encens qui brûle expire une forme sans fin…
Tous les corps radieux tremblent dans mon essence !…

Non, non !… N’irrite plus cette réminiscence !
Sombre lys ! Ténébreuse allusion des cieux,
Ta vigueur n’a pu rompre un vaisseau précieux…
Parmi tous les instants tu touchais au suprême…
-Mais qui l’emporterait sur la puissance même,
Avide par tes yeux de contempler le jour
Qui s’est choisi ton front pour lumineuse tour ?

Cherche, du moins, dis-toi, par quelle sourde suite
La nuit, d’entre lesmorts, au jour t’a reconduite ?
Souviens-toi de toi-même, et retire à l’instinct
Ce fil (ton doigt doré le dispute au matin),
Ce fil dont la finesse aveuglément suivie
Jusque sur cette rive a ramené ta vie…
Sois subtile… cruelle… ou plus subtile !…Mens !…
Mais sache !… Enseigne-moi par quels enchantements,
Lâche que n’a su fuir sa tiède fumée,
Ni le souci d’un sein d’argile parfumée,
Par quel retour sur toi, reptile, as-tu repris
Tes parfums de caverne et tes tristes esprits ?

Hier la chair profonde, hier, la chair maîtresse
M’a trahie… Oh ! sans rêve, et sans une caresse !…
Nul démon, nul parfum ne m’offrit le péril
D’imaginaires bras mourant au col viril ;
Ni, par le Cygne-Dieu, de plumes offensée
Sa brûlante blancheur n’effleura ma pensée…

Il eût connu pourtant le plus tendre des nids !
Car toute à la faveur de mes membres unis,
Vierge, je fus dans l’ombre une adorable offrande…
Mais le sommeil s’éprit d’une douceur si grande,
Et nouée à moi-même au creux de mes cheveux,
J’ai mollement perdu mon empire nerveux.
Au milieu de mes bras, je me suis faite une autre…
Qui s’aliène ?… Qui s’envole ?… Qui se vautre ?…
À quel détour caché, mon coe ur s’est-il fondu ?
Quelle conque a redit le nom que j’ai perdu ?
Le sais-je, quel reflux traître m’a retirée
De mon extrémité pure et prématurée,
Etm’a repris le sens de mon vaste soupir ?
Comme l’oiseau se pose, il fallut m’assoupir.

Ce fut l’heure, peut-être, où la devineresse
Intérieure s’use et se désintéresse :
Elle n’est plus la même… Une profonde enfant
Des degrés inconnus vainement se défend,
Et redemande au loin ses mains abandonnées.
Il faut céder aux voe ux des mortes couronnées
Et prendre pour visage un souffle…
Doucement,Me voici : mon front toucbe à ce consentement…
Ce corps, je lui pardonne, et je goûte à la cendre
Je me remets entière au bonheur de descendre,
Ouverte aux noirs témoins, les bras suppliciés,
Entre desmots sans fin, sansmoi, balbutiés.
Dors, ma sagesse, dors. Forme-toi cette absence ;
Retourne dans le germe et la sombre innocence,
Abandonne-toi vive aux serpents, aux trésors.
Dors toujours ! Descends, dors toujours ! Descends, dors, dors !

(La porte basse c’est une bague… où la gaze
Passe… Tout meurt, tout rit dans la gorge qui jase…
L’oiseau boit sur ta boucbe et tu ne peux le voir…
Viens plus bas, parle bas… Le noir n’est pas si noir…)

Délicieux linceuls, mon désordre tiède,
Couche où je me répands, m’interroge et me cède,
Où j’allai de mon coe ur noyer les battements,
Presque tombeau vivant dansmes appartements,
Qui respire, et sur qui l’éternité s’écoute,
Place pleine de moi qui m’avez prise toute,
Ô forme de ma forme et la creuse chaleur
Que mes retours sur moi reconnaissaient la leur,
Voici que tant d’orgueil qui dans vos plis se plonge
À la fin se mélange aux bassesses du songe !
Dans vos nappes, où lisse elle imitait sa mort
L’idolemalgré soi se dispose et s’endort,
Lasse femme absolue, et les yeux dans ses larmes,
Quand, de ses secrets nus les antres et les charmes,
Et ce reste d’amour que se gardait le corps
Corrompirent sa perte et ses mortels accords.

Arche toute secrète, et pourtant si prochaine,
Mes transports, cette nuit, pensaient briser ta chaîne ;
Je n’ai fait que bercer de lamentations
Tes flancs chargés de jour et de créations !
Quoi ! mes yeux froidement que tant d’azur égare
Regardent là périr l’étoile fine et rare,
Et ce jeune soleil de mes étonnements
Me paraît d’une aïeule éclairer les tourments,
Tant sa flamme aux remords ravit leur existence,
Et compose d’aurore une chère substance
Qui se formait déjà substance d’un tombeau !…
O, sur toute lamer, sur mes pieds, qu’il est beau !
Tu viens !… Je suis toujours celle que tu respires,
Mon voile évaporé me fuit vers tes empires…

… Alors, n’ai-je formé vains adieux si je vis,
Que songes ?… Si je viens, en vêtements ravis,
Sur ce bord, sans horreur, humer la haute écume,
Boire des yeux l’immense et riante amertume,
L’être contre le vent, dans le plus vif de l’air,
Recevant au visage un appel de lamer ;
Si l’âme intense souffle, et renfle furibonde
L’onde abrupte sur l’onde abattue, et si l’onde
Au cap tonne, immolant unmonstre de candeur,
Et vient des hautes mers vomir la profondeur
Sur ce roc, d’où jaillit jusque vers mes pensées
Un éblouissement d’étincelles glacées,
Et sur toute ma peau quemorde l’âpre éveil,
Alors,malgré moi-même, il le faut, ô Soleil,
Que j’adore mon coe ur où tu te viens connaître,
Doux et puissant retour du délice de naître,

Feu vers qui se soulève une vierge de sang
Sous les espèces d’or d’un sein reconnaissant !

 Paul Valéry,  La Jeune Parque, 1917


Sylvia Plath reads Daddy

Sylvia Plath Reads ‘Daddy’

Pierre Reverdy , Chemin tournant In Sources des vents, 1929

Il y a un terrible gris de poussière dans le temps
Un vent du sud avec de fortes ailes
Les échos sourds de l’eau dans le soir chavirant
Et dans la nuit mouillée qui jaillit du tournant
des voix rugueuses qui se plaignent
Un goût de cendre sur la langue
Un bruit d’orgue dans les sentiers
Le navire du coeur qui tangue
Tous les désastres du métier
Quand les feux du désert s’éteignent un à un
Quand les yeux sont mouillés comme
des brins d’herbe
Quand la rosée descend les pieds nus sur les feuilles le matin à peine levé
Il y a quelqu’un qui cherche
Une adresse perdue dans le chemin caché
Les astres dérouillés et les fleurs dégringolent
A travers les branches cassées
Et le ruisseau obscur essuie ses lèvres molles à peine décollées

Quand le pas du marcheur sur le cadran qui compte
règle le mouvement et pousse l’horizon
Tous les cris sont passés tous les temps se rencontrent
Et moi je marche au ciel les yeux dans les rayons
Il y a du bruit pour rien et des noms dans ma tête
Des visages vivants
Tout ce qui s’est passé au monde
Et cette fête
Où j’ai perdu mon temps

Pierre Reverdy , Chemin tournant In Sources des vents, 1929 

Gisèle Freund – Pierre Reverdy, 1960

Gisèle Freund – Pierre Reverdy, 1960

Le temps déborde , 1947 par Paul Eluard – Photographies Dora Maar & Man Ray. Ed° es Cahiers d’Art, Paris

Ouvrage publié sous le pseudonyme de Didier Desroches, Cet ouvrage, le seul comportant ce pseudonyme de l’auteur utilisé une seule fois par Paul Eluard, fut publié suite au décès de Nusch , illustré de 11 photographies de Nusch par Dora Maar et Man Ray. Dans tous les poèmes du recueil Eluard revient sur les dix-sept années de vie commune qui se sont brusquement interrompues. Notre vie est le poème le plus connu du recueil, celui où la mort de Nush est aussi la sienne. La vie avec Nush ne faisait qu’un avec l’emploi de ce possessif notre. Si le second terme est vie, le mot qui revient comme une obsession dans ce poème est la mort
collection Luc Decaunes, gendre de Paul Eluard.


Notre vie tu l’as faite elle est ensevelie
Aurore d’une ville un beau matin de mai
Sur laquelle la terre a refermé son poing
Aurore en moi dix-sept années toujours plus claires
Et la mort entre en moi comme dans un moulin
Notre vie disais-tu si contente de vivre
Et de donner la vie à ce * que nous aimions
Mais la mort a rompu l’équilibre du temps
La mort qui vient la mort qui va la mort vécue
La mort visible boit et mange à mes dépens
Morte visible Nush invisible et plus dure
Que la soif et la faim à mon corps épuisé
Masque de neige sur la terre et sous la terre »
Sources des larmes dans la nuit masque d’aveugle
Mon passé se dissout je fais place au silence.

Dora Marr – Nush Rluard Le temps déborde , 1947 par Paul Eluard – Photographies Dora Maar & Man Ray. Ed° es Cahiers d’Art, Paris

Dora Marr- Nush Eluard , Le temps déborde , 1947 par Paul Eluard - Photographies Dora Maar & Man Ray. Ed° es Cahiers d’Art, Paris

Man Ray– Nush Eluard , Le temps déborde , 1947 par Paul Eluard – Photographies Dora Maar & Man Ray. Ed° es Cahiers d’Art, Paris

 

Man Ray- Nush Eluard Le temps déborde , 1947 par Paul Eluard - Photographies Dora Maar & Man Ray. Ed° Les Cahiers d’Art, Paris

Man Ray- Nush Eluard Le temps déborde , 1947 par Paul Eluard – Photographies Dora Maar & Man Ray. Ed° Les Cahiers d’Art, Paris

Man Ray- Nush Eluard, Le temps déborde , 1947 par Paul Eluard - Photographies Dora Maar & Man Ray. Ed° es Cahiers d’Art, Paris

Man Ray- Nush Eluard, Le temps déborde , 1947 par Paul Eluard – Photographies Dora Maar & Man Ray. Ed° Les Cahiers d’Art, Paris

Man Ray- Nush Eluard Le temps déborde , 1947 par Paul Eluard - Photographies Dora Maar & Man Ray. Ed° es Cahiers d’Art, Paris 1

Dora Maar- Nush Eluard Le temps déborde , 1947 par Paul Eluard – Photographies Dora Maar & Man Ray. Ed° Les Cahiers d’Art, Paris

Dormir, dormir dans les pierres, poème by Benjamin Péret, illustrations by Yves Tanguy, 1927, Editions Surréalistes

Ce sont quelques-uns des rares poèmes d’amour de Benjamin Péret. Ils se déroulent dans le monde du sommeil et des rêves, dans un paysage de minéraux transparents comme le verre et le sel, et de simples plantes ou de fleurs telle la pâquerette. C’est un monde de solitude, où la vérité se cache dans du charbon et où le vent est le présage du changement. Le sommeil est considéré comme l’unification avec la nature, particulièrement avec des pierres et des rochers. Tout comme l’alcool et la mort, le sommeil offre un moyen d’échapper à la raison. Le texte est inspiré par de libres associations, mais dans l’oeuvre de Péret, adepte de l’écriture automatique, Cela ne tourne jamais au procédé. Le rêve, la mort, l’amour et la poésie sont des thèmes étroitement entremêlés.

« Dormir, dormir dans les pierres », poème by Benjamin Péret, illustrations by Yves Tanguy, 1927, Editions Surréalistes  ©Kb

 

Dormir, dormir dans les pierres,  poème 1927 by Benjamin Péret, illustrations by Yves Tanguy

Poèmes extraits de  « Dormir, dormir dans les pierres »,1927 by Benjamin Péret, illustrations by Yves Tanguy
©Kb

Dormir, dormir dans les pierres,  poème 1927 by Benjamin Péret, illustrations by Yves Tanguy

Yves Tanguy-  illustration pour Dormir, dormir dans les pierres, poème 1927 by Benjamin Péret ©Kb

Dormir, dormir dans les pierres,  poème 1927 by Benjamin Péret, illustrations by Yves Tanguy

Dormir, dormir dans les pierres, poème 1927 by Benjamin Péret, illustrations by Yves Tanguy ©Kb

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Hilda Doolittle

Hilda Doolittle, plus connue sous sa signature H.D. (née le 10 septembre 1886 à Bethlehem, en Pennsylvanie – morte le 27 septembre 1961 à Zurich), est une romancière et poétesse des États-Unis.
Biographie

Elle étudia le grec ancien à Bryn Mawr College, où elle rencontra les poètes Marianne Moore et William Carlos Williams. En 1913, elle épouse Richard Aldington, un poète imagiste qu’elle quitte en 1918 et dont elle divorce en 1938. Elle fit partie du courant poétique de l’imagisme, et en 1912 Ezra Pound lui trouve sa signature, réduite aux initiales H.D. Elle fait paraître son premier livre, Sea Garden, en 1916. En 1918, elle rencontre un ami de D. H. Lawrence, Cecil Gray, et ils ont une fille.

En 1918, H.D. rencontre la femme de lettres britannique Bryher (Annie Winifred Ellerman), avec qui elle vit jusqu’en 1946. Dans les années 1920, elle écrit plusieurs romans, dont le cycle Madrigal, composé des romans féministes autobiographiques HERmione, Bid Me to Live, Paint It Today et Asphodel.

En 1933, elle part pour Vienne où elle entame une psychanalyse avec Sigmund Freud. Elle publie les mémoires de cette expérience dans  »Writing on the Wall, (1944), le journal de son analyse, réédité en 1956 sous le titre Tribute to Freud. Son récit, très perspicace, est un précieux témoignage de l’atmosphère chaleureuse que Freud pouvait instaurer avec des patients. Elle a ensuite fait une psychothérapie avec Walter Schmideberg, gendre de Mélanie Klein.

Pendant la guerre, elle écrit ses souvenirs d’enfance, The Gift, qui ne seront publiés qu’en 1982. Elle fait paraître une Trilogy de ses recueils de poésie majeurs, sous les titres The Walls do not Fall (1944), Tribute to the Angels (1945) et The Flowering of the Rod (1946).

Après la guerre, elle s’installe en Suisse dans la villa Kenwin où elle a une dépression nerveuse. Son nouveau psychanalyste, Erich Heydt, l’encourage à écrire End of Torment, sur sa relation avec Ezra Pound. Entre 1952 et 1954, elle compose le recueil Helen in Egypt, une déconstruction féministe de la poésie épique, réponse aux Cantos d’Ezra Pound.

Elle meurt d’une attaque en 1961 à Zurich en Suisse. Ses cendres sont rapatriées au caveau familial de Bethlehem.

Hilda « H.D. » Doolittle MORE HERE

Hilda Doolittle (1886-1961)- Scrapbook, undated

Hilda Doolittle (1886-1961)- Scrapbook, undated

Hilda Doolittle (1886-1961)- Scrapbook, undated

Hilda Doolittle (1886-1961)- Scrapbook, undated

Hilda Doolittle (1886-1961)- Scrapbook, undated

Hilda Doolittle (1886-1961)- Scrapbook, undated

Hilda Doolittle (1886-1961)- Scrapbook, undated

Hilda Doolittle (1886-1961)- Scrapbook, undated

Hilda Doolittle (1886-1961)- Scrapbook, undated

Hilda Doolittle (1886-1961)- Scrapbook, undated

Hilda Doolittle (1886-1961)- Scrapbook, undated

source : Yale Collection of American Literature, Beinecke Rare Book and Manuscript Library

Henri Michaux

 » Emportez-moi dans une caravelle,
Dans une vieille caravelle et douce caravelle,
Dans l’étrave, ou si l’on veut, dans l’écume,
Et perdez-moi, au loin, au loin. […] »
Henri Michaux- Emportez-moi- in, La nuit Remue-

Alfred de Musset

Rappelle-toi, quand l’Aurore craintive
Ouvre au Soleil son palais enchanté ;
Rappelle-toi, lorsque la nuit pensive
Passe en rêvant sous son voile argenté ;
A l’appel du plaisir lorsque ton sein palpite,
Aux doux songes du soir lorsque l’ombre t’invite,
Ecoute au fond des bois
Murmurer une voix :
Rappelle-toi.
Rappelle-toi, lorsque les destinées
M’auront de toi pour jamais séparé,
Quand le chagrin, l’exil et les années
Auront flétri ce coeur désespéré ;
Songe à mon triste amour, songe à l’adieu suprême !
L’absence ni le temps ne sont rien quand on aime.
Tant que mon coeur battra,
Toujours il te dira
Rappelle-toi.
Rappelle-toi, quand sous la froide terre
Mon coeur brisé pour toujours dormira ;
Rappelle-toi, quand la fleur solitaire
Sur mon tombeau doucement s’ouvrira.
Je ne te verrai plus ; mais mon âme immortelle
Reviendra près de toi comme une soeur fidèle.
Ecoute, dans la nuit,
Une voix qui gémit :
Rappelle-toi.

Alfred de Musset, Rappelle-toi

“Me voici devant Vous, contrit comme il le faut.
Je sais tout le malheur d’avoir perdu la voie
Et je n’ai plus d’espoir, et je n’ai plus de joie
Qu’en une en qui je crois chastement, et qui vaut
A mes yeux mieux que tout, et l’espoir et la joie.”

Paul Verlaine- Prière

Paul Eluard

I

Les fruits du jour couvés par la terre
Une femme une seule ne dort pas
Les fenêtres sont couchées.

II
Une femme chaque nuit
Voyage en grand secret

III
Villages de la lassitude
Où les filles ont les bras nus
Comme des jets d’eau
La jeunesse grandit en elle
Et rit sur la pointe des pieds
Villages de la lassitude
Où tous les êtres sont pareils

IV
Pour voir les yeux où l’on s’enferme
Et les rires où l’on prend place

V
Des insectes entrent ici
Ombres grésillantes du feu
Une flamme toute rouillée
Éclabousse le sommeil
Son lit de chair et ses vertus.


VI
Je veux t’embrasser je t’embrasse
Je veux te quitter tu t’ennuies
Mais aux limites de nos forces
Tu revêts une armure plus dangereuse qu’une arme

(…)

VIII
Le corps et les honneurs profanes
Incroyable conspiration 
Des angles doux comme des aigles

– Mais la main qui me caresse 
C’est mon rire qui l’ouvre
C’est ma gorge qui la retient
Qui la supprime

Incroyable conspiration
Des découvertes et des surprises.

IX
Fantôme de ta nudité
Fantôme enfant de ta simplicité
Dompteur puéril sommeil charnel
De libertés imaginaires.

X

Plume d’eau claire pluie fragile

Fraîcheur voilée de caresses

De regards et de paroles

Amour qui voile ce que j’aime.

XI
A ce souffle à ce soleil d’hier
Qui joint tes lèvres
Cette caresse toute fraîche 
Pour courir les mers légères de ta pudeur
Pour en façonner dans l’ombre
Les miroirs du jasmin
Le problème du calme.

XII
Une chanson de porcelaine bat des mains

Puis en morceaux mendie et meurt

Tu te souviendras d’elle pauvre et nue

Matin des loups et leur morsure est un tunnel

D’où tu sors en robe de sang

À rougir de la nuit

Que de vivants à retrouver

Que de lumières à éteindre

Je t’appellerai Visuelle
.
Et multiplierai ton image.

XIII
Désarmée
Elle ne se connaît plus d’ennemis

XIV
Rôdeuse au front de verre

Son cœur s’inscrit dans une étoile noire

Ses yeux montrent sa tête

Ses yeux sont la fraîcheur de l’été

La chaleur de l’hiver

Ses yeux s’ajourent rient très fort

Ses yeux joueurs gagnent leur part de clarté.

XV
Elle s’allonge
Pour se sentir moins seule.

(…)

XVII
J’admirais descendant vers toi
L’espace occupé par le temps
Nos souvenirs me transportaient.

Il te manque beaucoup de place
Pour être toujours avec moi.

XVIII
Déchirant ses baisers et ses peurs

Elle s’éveille la nuit

Pour s’étonner de tout de qui l’a remplacée.

XIX
Au quai de ces ramures

Les navigateurs ne prospèrent pas

Paupières abattues par l’éclat l’écho du feu

Au quai des jambes nues

Perçant le corps dans l’ombre sourde

La trace des tentations s’est perdue.



Les fleuves ne se perdent qu’au pays de l’eau

La mer s’est effondrée sous son ciel de loisirs

Assise tu refuses de me suivre

Que risques-tu l’amour fait rire la douleur

Et crier sur les toits l’impuissance du monde.


La solitude est fraîche à ta gorge immobile

J’ai regardé tes mains elles sont semblables

Et tu peux les croiser

Tu peux t’attacher à toi-même


C’est bien — puisque tu es la seule je suis seul.

XX
Une prison découronnée

En plein ciel

Une fenêtre enflammée

Où la foudre montre ses seins

Une nuit toute verte

Nul ne sourit dans cette solitude

Ici le feu dort tout debout
À travers moi.



Mais ce sinistre est inutile

Je sais sourire

Tête absurbe

Dont la mort ne veut pas dessécher les désirs

Tête absolument libre

Qui gardera toujours et son regard et son sourire.



Si je vis aujourd’hui

Si je ne suis pas seul

Si quelqu’un vient à la fenêtre

Et si je suis cette fenêtre

Si quelqu’un vient

Ces yeux nouveaux ne me voient pas

Ne savent pas ce que je pense

Refusent d’être mes complices


Et pour aimer séparent.

(…)

XXII
Derrière moi mes yeux se sont fermés

La lumière est brûlée la nuit décapitée

Des oiseaux plus grands que les vents

Ne savent plus où se poser.



Dans les tourments infirmes dans les rides des rires

Je ne cherche plus mon semblable

La vie s’est affaissée mes images sont sourdes

Tous les refus du monde ont dit leur dernier mot

Ils ne se rencontrent plus ils s’ignorent

Je suis seul je suis seul tout seul

Je n’ai jamais changé.

Paul Eluard in L’univers solitude

Paul Éluard , Du fond de l’abîme

Il n’étaient pas fous les mélancoliques
ils étaient conquis digérés exclus
par la masse opaque
des monstres pratiques

avaient leur âge de raison les mélancoliques
l’âge de la vie
ils n’étaient pas là au commencement
à la création
ils n’y croyaient pas
et n’ont pas su du premier coup
conjuguer la vie et le temps
le temps leur paraissait long
la vie leur paraissait courte
et des couvertures tachées par l’hiver
sur des coeurs sans corps sur des coeurs sans nom
faisaient un tapis de dégoût glacé
même en plein été

Paul Éluard , Du fond de l’abîme

Robert Desnos

« AU MOCASSIN LE VERBE
Tu me suicides, si docilement
Je te mourrai pourtant un jour.
Je connaîtrons cette femme idéale
et lentement je neigerai sur sa bouche
Et je pleuvrai sans doute même si je fais tard, même si je fais beau temps
Nous aimez si peu nos yeux
et s’écroulerai cette larme sans
raison bien entendu et sans tristesse.
Sans. »
Robert Desnos, Langage Cuit , 1923