Claude CAHUN & Marcel MOORE Aveux non avenus. (Unavowed confessions). Paris, Editions du Carrefour, 1930

Je reposte les articles que l’adagp a fait supprimer sur dénonciation . Mais heureusement une SAUVEGARDE par archiche.org  fût realisée  ICI : Publié par Kate03/10/2012

 

Je remercie vivement  Andrea Oberhuber qui cite mon article et prend la peine d’ajouter l’hyperlien qui renvoyait à l’article à l’époque, page 5 dans sa recherche « Projets photolittéraires et modes de lecture de l’objet livre dans les années trente » , [format pdf ]

 

Les Aveux non avenus est un livre magistral et méconnu, un vaste poème en prose dans lequel il faut se perdre, comme on peut se perdre dans Une saison en enfer de Rimbaud. Élaboré en une dizaine d’années,(entre 1919 et 1929), « Aveux non avenus » est le livre majeur de Claude Cahun, poète, photographe et plasticienne surréaliste. Il s’agit de sa grande entreprise autobiographique qui met en jeu l’aventure inquiétante de vivre et la quête d’images diffractées de l’insaisissable identité. Organisé en courtes séquences cinématographiques, photographiques, le texte est un savant enregistrement et montage de fragments de moments vécus, de récits de rêves, de lettres, de fragments de journal intime, de morceaux de prose polémique, de considérations introspectives, spéculatives, de contes et de poèmes. Souvent réalisés à partir de ses autoportraits, les photomontages sont des constructions oniriques à la très grande force plastique. Ici, un œil, des mains ; là, une effusion de visages, des jeux de miroirs, des labyrinthes visuels infinis.

Cahun est l’artiste fascinante qui explora toutes les limites des genres – sexuel, grammatical, littéraire, idéologique – avec une audace exemplaire et largement anticipatrice. Elle est l’alter ego féminin de Duchamp. Rappelons que Claude Cahun est l’auteur d’une œuvre photographique extrêmement novatrice dans laquelle, dès les années 1930, elle explore la question du miroir et du double, la mise en scène de soi, le travestissement, la mas­carade dans une quête narcissique revendiquée et l’affirmation d’une liberté (notamment sexuelle) sans limite, annonçant l’œuvre de Pierre Molinier, mais aussi celles d’Urs Lüthi ou de Cindy Sherman, pour ne citer qu’eux.

Publié en 1930 aux Éditions du Carrefour, avec une préface de Pierre Mac Orlan, Aveux non avenus est un livre-objet. La maquette et les illustrations – dix magnifiques héliogravures, qui sont des chefs-d’œuvre du photomontage surréaliste – ont été réalisées par Claude Cahun en collaboration avec sa compagne, Suzanne Malherbe.

Claude Cahun and Marcel Moore, Photomontage for frontispiece for Aveux non avenus (unavowed confessions), 1919-1929

 

Claude Cahun et Moore- Aveux non avenus, planche II, 1919-1929

Claude Cahun et Moore- Aveux non avenus, planche II, 1919-1929

 

Claude Cahun et Moore- Aveux non avenus, planche III, 1919-1929

Claude Cahun et Moore- Aveux non avenus, planche III, photomontage , 1919-1929

« Tu t’es ému de quelques-unes de mes folies ( parfois des plus futiles), et cela au hasard, sans grand discernement.
Tu m’as reproché de m’être levée au milieu de la nuit pour regarder passer un train ( oui, comme les vaches!) probablement quelconque mais que je chargeais d’une présence chère… Tu as incriminé des regards (que toi seul as su voir), je ne sais quels contacts, et mon idolâtrie (ça, c’est la vengeance divine), et mon exagération verbale (honteuse, littéraire). Je la reconnais d’ailleurs, je te donne raison; mais j’ai l’ambition de vivre soumise à d’autres vérités que la vérité littérale. Simple accumulateur qui prend l’électricité nécessaire n’importe où il y a du courant -voilà ce que je suis. Voilà ce qu’il faut être. Mes passions me sont merveilleusement indifférentes (interchangeables selon la meilleure occasion, pour ainsi dire à volonté). Leur résultat prodigieux sur mon âme m’intéresse par-delà tout scrupule. »

Claude Cahun, Aveux non avenus

Claude Cahun et Moore- Aveux non avenus, planche IV , 1919-1929

 

Claude Cahun et Moore- Aveux non avenus, planche IV , 1919-1929

 

« Dans la nuit noire. En attendant de voir clair, je veux me traquer, me débattre […]. Je ne voudrais coudre, piquer, tuer qu’avec l’extrême pointe. Le reste du corps, la suite, quelle perte de temps ! Ne voyager qu’à la proue de moi-même. »

Claude Cahun, Aveux non avenus

Claude Cahun et Moore- Aveux non avenus, planche V , 1919-1929

Claude Cahun et Moore- Aveux non avenus, planche VI, 1919-1929

Claude Cahun et Moore- Aveux non avenus, planche VI,1919-1929

« Je sens comme si je les voyais, mes cuisses maigrir d’une sueur de fièvre, douche parfois brulante, parfois glacée, toujours inattendue. Mes genoux vidés, les os dissous, vêtu d’un parchemin lucide, se gonflent, flottante vessies de porc. Mon cœur alenti sonne un glas funèbre, puis bat bruyamment comme un tocsin. Il devient mobile, se promène dans mon ventre, y éclate en coliques profondes. À chaque secousse, une conscience tombe, pulvérisée. Peu à peu, je m’allège. Bref répit ! Mon cœur se gonfle outrageusement et s’emplit d’hydrogène. Gros ballon rouge et bleu, il monte au bout d’un fil.
À l’autre bout, c’est une guêpe enfermée, qui frappe à coups venimeux aux parois de ma poitrine. Si je l’aidais à sortir ? Et mes ongles sans hésiter pratiqueraient un jour qui guide l’échappée de ce cœur s’il ne faisait dehors désespérément noir.
Ô nocturne sans issue qui se joue dans les cercles de la nuit musicale, infernal serpent qui s’est décapité en avalant sa queue, bracelet aux sept chaînes hermétiques…
Le ballon rouge et bleu est très fort : il me soulève de mon lit, fasciné. Je sens la fatigue d’une lévitation dont je serais le médium, et les affres d’un spectateur qui croirait au danger. Une sorte de jouissance vague me balance ; et – me rappelant l’abîme du sommeil, vertige souterrain qu’interrompt la secousse périodique, rude comme une chute – je répète obscurément :
J’aime encore mieux monter que descendre. Ca ira bien – jusqu’au plafond. »

 

Claude Cahun et Moore- Aveux non avenus, planche VII, 1919-1929

« Une feuille de verre. Où mettrai-je le tain ? En deça, au delà ; devant ou derrière la vitre ?

Devant je m’emprisonne. Je m’aveugle. Que m’importe, passant, de te tendre un miroir où tu te reconnaisses, fût-ce un miroir déformant et signé de ma main ? […]

Derrière. Je m’enferme également. Je ne saurai rien du dehors.

Laisser la vitre claire, et selon les hasards et les heures voir confusément, partiellement, tantôt les fugitifs et tantôt mon regard. Réciprocité parfaite. »

Claude Cahun et Moore- Aveux non avenus, planche VIII, 1919-1929

Claude Cahun et Moore- Aveux non avenus, planche VIII, 1919-1929

« Je suis dans le poing et dans la plaie ; je me reconnais ici, là et partout. »

« Un nouveau verbe, un nouvel objet – et le même sujet. Toujours le même enchaînement de plaintes »

« Signalement :
Front moyen
Yeux moyens
Intelligence moyenne
Sensibilité peu marquée
Oreilles grandes
Lèvres mobiles, langue souple
Mains prestes, mains de jongleur — pour l’Olympia ou le vol à la tire

Signe particulier : une ligne de vie faisant le tour du pouce. »

Claude Cahun et Moore- Aveux non avenus, planche IX , 1919-1929

« Distribuer le gâteau en retranchant ma part. Si un cube n’entre pas dans ma construction, je le supprime. Un à un je les retire tous […].

Je me fais raser les cheveux, arracher les dents, les seins – tout ce qui gêne ou impatiente mon regard – l’estomac, les ovaires, le cerveau conscient et enkysté. Quand je n’aurai plus qu’une carte en main, qu’un battement de cœur à noter, mais à la perfection, bien sûr je gagnerai la partie. » Aveux non avenus

Claude Cahun et Moore- Aveux non avenus, planche X , 1919-1929

« Tu t’es ému de quelques-unes de mes folies ( parfois des plus futiles), et cela au hasard, sans grand discernement.
Tu m’as reproché de m’être levée au milieu de la nuit pour regarder passer un train ( oui, comme les vaches!) probablement quelconque mais que je chargeais d’une présence chère… Tu as incriminé des regards (que toi seul as su voir), je ne sais quels contacts, et mon idolâtrie (ça, c’est la vengeance divine), et mon exagération verbale (honteuse, littéraire). Je la reconnais d’ailleurs, je te donne raison; mais j’ai l’ambition de vivre soumise à d’autres vérités que la vérité littérale. Simple accumulateur qui prend l’électricité nécessaire n’importe où il y a du courant -voilà ce que je suis. Voilà ce qu’il faut être. Mes passions me sont merveilleusement indifférentes (interchangeables selon la meilleure occasion, pour ainsi dire à volonté).

 

Claude Cahun et Marcel Moore, Aveux non avenus. (Unavowed confessions), Paris, Editions du Carrefour, 1929-1930. with text and 10 photogravures.( preface Pierre Mac Orlan) // scanned Book.

Écrivain, photographe et militante associée surréalistes de gauche en France dans les années 1930, Claude Cahun est le pseudonyme de Lucy Schwob. En collaboration avec sa compagne  Suzanne Malherbe, qui adopta le nom de Marcel Moore, Cahun réalise des œuvres écrites, sculptures et collages qui explorent souvent l’identité de genre.

L’Essai autobiographique de Cahun, Aveux non avenus [inavouées confessions], a été publié à Paris en 1930, est le travail d’art original fait par Cahun et Moore  qui a duré de 1919à 1929 .

Cahun apparaît sous les formes énigmatiques, en jouant des personnages différents à l’aide de masques et miroirs et mettant en vedette androgyne rasée ou cheveux coupé, comme peut être vu dans les vues multiples d’elle sur le côté inférieur gauche de ce collage. L’image comprend également des symboles constitués par les femmes de se représenter eux-mêmes — le œil pour Moore, l’artiste et la bouche pour Cahun, l’écrivain et acteur. Considérant que la majorité des surréalistes était des hommes, dont les images femmes apparaissent comme des objets érotiques, autoportraits androgynes de Cahun explorent identité féminine, telle que construite, aux multiples facettes et en fin de compte comme ayant une absence nihiliste au cœur. Cahun écrit: « sous ce masque, un autre masque. Je ne serai jamais fini de soulever tous ces visages. »

 

 

Claude Cahun

« Dans la nuit noire. En attendant de voir clair, je veux me traquer, me débattre […]. Je ne voudrais coudre, piquer, tuer qu’avec l’extrême pointe. Le reste du corps, la suite, quelle perte de temps ! Ne voyager qu’à la proue de moi-même. »

Claude Cahun, Aveux non avenus

Claude Cahun - Aveux non avenus , photomontage ( réalisé entre 1919 et 1929), publié en 1929

Claude Cahun – Aveux non avenus , photomontage ( réalisé entre 1919 et 1929), publié en 1929