[A ma Tendre et précieuse Clarisse L.(Psycho-sociologue/ Maître de conférence à l’ UCP….) et son Histoire avec le Corps]
Louise Bourgeois « Extrême tension », 2007 ou Un corps c’est quoi ? de simples organes, une mémoire, des cellules, ce qui nous fait , ce qui nous encombre, ce qui nous permet de vivre, d’assouvir nos besoins primaires, mais aussi désirs?
C’est quoi le corps ?, c’est bien là, la dernière grande interrogation qui ne renvoie Louise B.
“FOR ME, SCULPTURE IS THE BODY. MY BODY IS MY SCULPTURE” L.B.
Louise Bourgeois enfermait ses angoisses et ses mémoires d’enfance, son rapport à la sexualité et à la mort, ici, avec cette dernière œuvre, elle dépouille tout jusqu’à l’extrême. Un corps, c’est cela. Le sien (il y a sur chacun des panneaux ces grandes et affirmatives initiales LB, un corps signé, s’il n’est pas décrit comme sexué). La vie fait peur, mais elle est la vie avec ses désirs et ses douleurs. Sans retenue. Le corps de Louise est un corps de désir(s). Ce que dit cet autoportrait anatomique, dans toute son ampleur.
Dans Extreme Tension, l’artiste Louise Bourgeois décrit son corps dans une série de onze dessins accompagnés de textes. Elle les réalise en 2007 à l’âge de 95 ans. Extrême tension sera son dernier, son extrême refuge dans lequel le modeste exercice graphique prendra tout son sens, dessiné par Louise Bourgeois. La date : 2007.
Inédits, les onze panneaux en très grand format se composent comme un livre ouvert sur le corps ouvert de Louise. Onze panneaux qui alternent et mêlent estampes rehaussées à la main par l’artiste et grandes feuilles de papier où elle a écrit les mots descriptifs du corps, de son corps, de son corps artiste. Avec un basculement de l’anatomique aux humeurs, des humeurs à l’angoisse de la mort au sein d’une vie toujours au présent. L’œuvre est tendue, vive, tremblante, simple.sera son dernier, son extrême refuge dans lequel le modeste exercice graphique prendra tout son sens.
« Mon cuir chevelu
front
oreilles
la base du crâne
derrière le cou
le dos entre les omoplates
la base des côtes
plexus solaire
l’estomac
l’œsophage
la gorge
les intestins
le rectum
les jambes
cuisses
chevilles
doigts de pied
les os du pelvis
les articulations
les bras
les avant-bras
mains
doigts
les douleurs et les crampes
la respiration
les palpitations
les bouffées de chaleur
la transpiration
extrême extrême tension
l’odeur de l’animal traqué ».
Louise Bourgeois, Extrême tension (2007)
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Cette série est un grand dispositif composé de onze panneaux de formats différents, associant des estampes rehaussées de peinture et de grandes feuilles de papier sur lesquelles figurent des mots et des phrases écrits en anglais par la main tremblante de l’artiste. La série reprend les thèmes chers à l’artiste, le corps et l’inconscient, s’exprimant avec grâce et brutalité dans une expression formelle sensible et épurée. Bourgeois nous donne à voir un cycle, celui de la pulsion de vie, au travers de son propre corps dont elle détaille les parties symboliques.
Dans le premier panneau, est figurée l’empreinte rouge de ses bras tendus verticalement vers le ciel, encadrant le titre de l’œuvre, écrit en lettres majuscules. Les panneaux suivants livrent d’autres fragments du corps et autant de sensations physiques illustrées par de fins dessins d’organes qui oscillent entre figuration et abstraction. L’ensemble décrit un processus d’angoisse menant à la mort, celui de « L’odeur de l’animal traqué », entouré de traces de doigts sur quatre colonnes.
Ces bras élancés au dessin rehaussé de rouge qui s’échapperaient de la surface du papier, qui iraient jusqu’à l’extrême d’un hors champ du support défini, vers la vie, en somme
Louise Bourgeois– Extrême Tension, 2007 Panneau 1
La représentation de la main rythme le cycle. Les mains rouges du premier panneau réapparaissent sur le septième, mais ici elles ont glissé vers le bas de la feuille, en y laissant des traces : cependant elles s’agrippent toujours au papier – c’est-à-dire à la vie. La main peut fonctionner comme le signe du destin. C’est elle qui tient le crayon, qui indique le chemin, qui attrape et qui lâche ; elle emprisonne les mots délivrés comme des cris intérieurs. Les traces de doigts, d’un rouge passé, s’apparentent aux marques laissées par un captif enfermé dans la feuille de papier. La légèreté du médium graphique et l’économie de moyens dont use l’artiste atténuent la pesanteur du drame et donnent à l’ensemble une fluidité organique.
Tout palpite, tout tremble, tout vibre sur le papier. Dans la succession des panneaux se constitue ce corps Bourgeois par des mots précis et de courtes phrases en anglais :
« My scalp » – « ears » – « The base of the skull » (panneau 2)

Louise Bourgeois -« My scalp » – « ears » – « The base of the skull » (panneau 2) ; Mine graphite sur papier et estampes rehaussées à l’aquarelle, 2007
« Back of the neck » – « The back between the shoulders blades » « The base of the ribs » « Solar plexus » (panneau 3)

Louise Bourgeois extreme tension « Back of the neck » – « The back between the shoulders blades » – « The base of the ribs » – « Solar plexus » (panneau ) Panneau 3, Mine graphite sur papier et estampes rehaussées à l’encre 2007
Eléments (fragments) du squelette… Et puis, la description interne se poursuit, zone sensible des angoisses et des douleurs, zone des fluides, des absorptions et des expulsions :
« The stomach » – « The esphagus » (panneau 4)

Louise Bourgeois -«« The stomach » – « The esphagus » (panneau 4) ; Mine graphite sur papier et estampes rehaussées à l’aquarelle, 2007
« The intestins » – « The rectum » (panneau 5).

Louise Bourgeois – « The intestins » – « The rectum » panneau 5, The Breathing -The Palpitations -The Hot Flashes Mine graphite sur papier et estampes rehaussées à l’aquarelle, 2007
« The Arms »– « Fore arms » – « Hands » – « Fingers » (panneau 6).
« The legs » – « Thighs » – « Ankles » – « Toes »… (panneau 7) ;

Louise Bourgeois – « The legs » – « Thighs » – « Ankles » – « Toes »… (panneau 7) –Panneau 10 Mine graphite sur papier et estampes rehaussées à l’aquarelle, 2007
les sensations élémentaires à nous communes (« The pains and cramps » du panneau 8). La vie et la mort, dit Louise Bourgeois.

Louise Bourgeois -« The pains and cramps » panneau 8 ; Mine graphite sur papier et estampes rehaussées à l’aquarelle, 2007
Et puis les manifestations physiques du corps (« The breathing » – « The palpitate » – « The hot flashs » du panneau 9 pour dire les poumons, le cœur, les respirations, transpirations, bouffées de chaleur),

Louise Bourgeois panneau 9 , The Breathing -The Palpitations -The Hot Flashes Mine graphite sur papier et estampes rehaussées à l’aquarelle, 2007
« La resiration» –Panneau 10

Louise Bourgeois – « La resiration» –Panneau 10 Mine graphite sur papier et estampes rehaussées à l’aquarelle, 2007
Et cet être qu’elle décrit, au dernier panneau, elle le nomme par la sensation viscérale : « The smell of the hunted animal » (l’odeur de l’animal traqué). Rien de moins virtuel que ce corps-là, les mots et le dessin de formes presque informes se sont substitués aux formes sculptées complexes, aux environnements-cellules narratives.

Louise Bourgeois extreme tension The smell of the Hunted animal Panneau11, Mine graphite sur papier et estampes rehaussées à l’encre, 2007
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Extrait du catalogue Collection art graphique – La collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008
« Quoique depuis vingt ans les moyens les plus importants aient été donnés à Louise Bourgeois pour ses installations et ses sculptures, l’exercice graphique n’a pas cessé pour autant d’être au cœur de son œuvre, et ce jusqu’à très récemment : le travail du dessin garde son rôle premier, immédiat, cathartique, d’expression de ses angoisses, de ses fantasmes les plus intimes ; le papier reste le lieu de dépôt léger de ses « pensées-plumes » – des pensées uniquement visuelles, répétitives, obsessionnelles. À côté des feuilles isolées, l’artiste commence à constituer au milieu des années 1990 des ensembles cohérents de dessins, comme si leur agglomérat devait en soi constituer un espace clos ou un mur intérieur, une « maison » de papier, en quelque sorte. Le premier en date – et l’un des plus importants – réunit 220 Dessins d’insomnie (Zurich, coll. Daros), qu’elle réalise, entre novembre 1994 et juin 1995, pendant les longues heures de la nuit où lui viennent des figures tantôt abstraites et géométriques, tantôt informes. Mais ce sont encore des feuilles indépendantes, regroupées par les circonstances de leur création plus que par leur thème iconographique, comme cela sera le cas par la suite. C’est vers 2003 qu’apparaissent les suites de dessins abstraits formellement cohérents qui seront publiés dans le catalogue de l’exposition « The Reticent Child », à la galerie Cheim & Read, à New York, en 2004. Dans les deux versions de Tous les Cinque , 2004 (coll. Joe et Marie Donnelly, et Oregon, coll. part.), Louise Bourgeois reprend le chiffre symbolique « 5 » – présent dans son œuvre au moins depuis la sculpture Quarantania I (1947-1953, MOMA) – sous la forme de colonnes verticales ou de cercles concentriques qui représentent, à la fois, la famille de ses parents et celle qu’elle-même a fondée en épousant Robert Goldwater, en 1938. En revanche, dans les autres suites abstraites, Sans titre (CIA) (courtesy Hauser & Wirth, Zurich, Londres) ou Sans titre (Septembre 1-12) (coll. part.), également de 2004, les grilles répétitives, qui rappellent la structure textile des tissages, relèvent plus, de sa part, d’un marquage obsessionnel du temps qui passe.
Annoncé par le dispositif d’ensemble des quinze grands dessins (105 x 150 cm environ) de Sublimation (2002, coll. part.), où sont réunis images et textes, le grand déploiement d’ Extrême tension s’impose, depuis sa révélation au Centre Pompidou en 2008, comme la dernière œuvre graphique monumentale de Louise Bourgeois – et, peut-être, son dernier chef-d’œuvre. Se présentant comme un véritable livre mural, il est constitué de onze grands panneaux de formats différents, associant des estampes rehaussées à la main et de grandes feuilles de papier sur lesquelles figurent des mots et des phrases écrits en anglais par la main tremblante de l’artiste, âgée de 95 ans.
De panneau en panneau, Louise Bourgeois donne à lire et à voir, avec précision et sans embellissement aucun, son propre corps, vieux et usé : dans le premier, ses bras rouges élancés, tendus verticalement, encadrent le titre, écrit en lettres majuscules ; les suivants contiennent des mots énumérant les parties de son corps, depuis la base du crâne (panneau 2) jusqu’aux doigts de pieds (panneau 6) et aux mains (panneau 7), en passant par les organes internes : l’œsophage (panneau 4), le rectum (panneau 5)… Suivent les sensations et les manifestations physiques les plus intimes : douleurs et crampes (panneau 8), respiration, palpitations, bouffées de chaleur et transpiration (panneaux 9 et 10). Les mains rouges du premier panneau réapparaissent sur le septième, mais ici elles ont glissé vers le bas de la feuille, en y laissant des traces : cependant elles s’agrippent toujours au papier – c’est-à-dire à la vie. Le onzième panneau clôt l’œuvre, sans détours, par les mots : « L’odeur de l’animal traqué » , entourés de traces de doigts sur quatre colonnes. II ne fait aucun doute que l’artiste est cet animal – et que ce qui le traque est simplement la mort. Dans cet impressionnant « autoportrait » d’une anatomie éclatée, ultime face-à-face avec la mort et avec elle-même auquel elle convie le spectateur, Louise Bourgeois oppose à l’attente de la fin sa force de travail, et, toujours, son instinct de vie. » Extrait du catalogue Collection art graphique – La collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008
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Louise Bourgeois- 10 am Is When You Come To Me, 2007 — mixed media on 40 music paper sheets. These are the hands of Louise and Jerry Gorovoy.
© Louise Bourgeois/Licensed by VAGA, New York, NY/Adagp, Paris
COURTESY OF CENTRE POMPIDOU PARIS [centre pompidou]
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