Antonin Artaud – Invocation à la Momie

« Ces narines d’os et de peau

par où commencent les ténèbres
de l’absolu, et la peinture de ces lèvres
que tu fermes comme un rideau

Et cet or que te glisse en rêve
la vie qui te dépouille d’os,
et les fleurs de ce regard faux
par où tu rejoins la lumière

Momie, et ces mains de fuseaux
pour te retourner les entrailles,
ces mains où l’ombre épouvantable
prend la figure d’un oiseau

Tout cela dont s’orne la mort
comme d’un rite aléatoire,
ce papotage d’ombres, et l’or
où nagent tes entrailles noires

C’est par là que je te rejoins,
par la route calcinée des veines,
et ton or est comme ma peine
le pire et le plus sûr témoin. »

Antonin Artaud – Invocation à la Momie

Antonin Artaud, Héliogabale ou l’Anarchiste Couronné, 1979

« Il y a des pierres noires en forme de verge d’homme, et un sexe de femme ciselé dessous. Et ces pierres sont des vertèbres dans des coins précieux de la terre. Et la pierre noire d’Emèse est la plus grosse de ces vertèbres, la plus pure, et la plus parfaite aussi.
Mais il y a des pierres qui vivent, comme des plantes ou des animaux vivent, et comme on peut dire que le Soleil, avec ses tâches qui se déplacent, se gonflent et se dégonflent, bavent les unes sur les autres, rebavent et se redéplacent, — et quand elles se gonflent ou se dégonflent, le font avec rythme et de l’intérieur, — comme on peut dire que le soleil vit. Les taches naissent en lui comme un cancer, comme les bubons effervescent d’une peste. Il y a là-dedans de la matière pulvérisée et qui se ramasse, — comme des morceaux de soleil concassés mais noirs. Et, mis en poudre, ils occupent moins de place ; et c’est pourtant le même soleil et la même étendue et quantité de soleil, mais éteint par places, et qui rappelle alors le diamant et le charbon. Et tout cela vit ; et l’on peut dire que DES pierres vivent ; et les pierres de la Syrie vivent, comme des miracles de la nature, car ce sont des pierres lancées par le ciel. »

Antonin Artaud, Héliogabale ou l’Anarchiste Couronné, 1979

”L’ombilic des Limbes », Le pèse nerfs, Antonin Artaud

DEUXIÉME LETTRE DE MÉNAGE

« J’ai besoin, à côté de moi, d’une femme simple et équilibrée, et dont l’âme inquiète et trouble ne fournirait pas sans cesse un aliment à mon désespoir. Ces derniers temps, je ne te voyais plus sans un sentiment de peur et de malaise. Je sais très bien que c’est ton amour qui te fabrique tes inquiétudes sur mon compte, mais c’est ton âme malade et anormale comme la mienne qui exaspère ces inquiétudes et te ruine le sang. Je ne veux plus vivre auprès de toi dans la crainte. J’ajouterai à cela que j’ai besoin d’une femme qui soit uniquement à moi et que je puisse trouver chez moi à toute heure. Je suis désespéré de solitude. Je ne peux plus rentrer le soir, dans une chambre, seul, et sans aucune des facilités de la vie à portée de ma main. Il me faut un intérieur, et il me le faut tout de suite, et une femme qui s’occupe sans cesse de moi qui suis incapable de m’occuper de rien, qui s’occupe de moi pour les plus petites choses. Une artiste comme toi a sa vie, et ne peut pas faire cela. Tout ce que je te dis est d’un égoïsme féroce, mais c’est ainsi. Il ne m’est même pas nécessaire que cette femme soit très jolie, je ne veux pas non plus qu’elle soit d’une intelligence excessive, ni surtout qu’elle réfléchisse trop. Il me suffit qu’elle soit attachée à moi. Je pense que tu sauras apprécier la grande franchise avec laquelle je te parle et que tu me donneras la preuve d’intelligence suivante : c’est de bien pénétrer que tout ce que je te dis n’a rien à voir avec la puissante tendresse, l’indéracinable sentiment d’amour que j’ai et que j’aurai inaliénablement pour toi, mais ce sentiment n’a rien à voir lui-même avec le courant ordinaire de la vie. Et elle est à vivre, la vie. Il y a trop de choses qui m’unissent à toi pour que je te demande de rompre, je te demande seulement de changer nos rapports, de nous faire chacun une vie différente, mais qui ne nous désunira pas. »

Extrait de”L’ombilic des Limbes, Le pèse nerfs, Antonin Artaud

Antonin Artaud- Prière, 1923

Ah donne-nous des crânes de braise
Des crânes brûlés aux foudres du ciel
Des crânes lucides des crânes réels
Et traversés de ta présence

Fais-nous naître aux cieux du dedans
Criblés de gouffres en averses
Et qu’un vertige nous traverse
Avec un ongle incandescent

Rassasie-nous nous avons faim
De commotions intersidérales
Ah verse-nous des laves astrales
A la place de notre sang

Détache-nous. Divise-nous
Avec tes mains de braises coupantes
Ouvre-nous ces routes brûlantes
Où l’on meurt plus loin que la mort

Fais vaciller notre cerveau
Au sein de sa propre science
Et ravis-nous l’intelligence
Aux griffes d’un typhon nouveau

Antonin Artaud- Prière, 1923

Antonin Artaud, le Pèse-Nerfs / 1925

« Toute l’écriture est de la cochonnerie.
Les gens qui sortent du vague pour essayer de préciser quoi que ce soit de ce qui se passe dans leur pensée, sont des cochons.
Toute la gent littéraire est cochonne, et spécialement celle de ce temps-ci.
Tous ceux qui ont des points de repères dans l’esprit, je veux dire d’un certain côté de la tête, sur des emplacements bien localisés de leur cerveau, tous ceux qui sont maîtres de leur langue, tous ceux pour qui les mots ont un sens, tous ceux pour qui il existe des altitudes dans l’âme, et des courants dans la pensée, ceux qui sont esprits de l’époque, et qui ont nommé ces courants de pensée, je pense à leurs besognes précises, et à ce grincement d’automate que rend à tous vents leur esprit,
– sont des cochons.
Ceux pour qui certains mots ont un sens, et certaines manières d’être, ceux qui font si bien des façons, ceux pour qui les sentiments ont des classes et qui discutent sur un degré quelconque de leurs hilarantes classifications, ceux qui croient encore à des « termes », ceux qui remuent des idéologies ayant pris rang dans l’époque, ceux dont les femmes parlent si bien et ces femmes aussi qui parlent si bien et qui parlent des courants de l’époque, ceux qui croient encore à une orientation de l’esprit, ceux qui suivent des voies, qui agitent des noms, qui font crier les pages des livres, – ceux-là sont les pires cochons. Vous êtes bien gratuit, jeune homme !
Non, je pense à des critiques barbus.
Et je vous l’ai dit : pas d’oeuvre, pas de langue, pas de parole, pas d’esprit, rien.
Rien, sinon un beau Pèse-Nerfs.
Et n’espérez pas que je vous nomme ce tout, en combien de parties il se divise, que je vous dise son poids, que je marche, que je me mette à discuter sur ce tout, et que, discutant, je me perde et que je me mette ainsi sans le savoir à PENSER, – et qu’il s’éclaire, qu’il vive, qu’il se pare d’une multitude de mots, tous bien frottés de sens, tous divers, et capables de bien mettre au jour toutes les altitudes, toutes les nuances d’une très sensible et pénétrante pensée.
Ah ces états qu’on ne nomme jamais, ces situations éminentes d’âme, ah ces intervalles d’esprit, ah ces minuscules ratées qui sont le pain quotidien de mes heures, ah ce peuple fourmillant de données, – ce sont toujours les mêmes mots qui me servent et vraiment je n’ai pas l’air de beaucoup bouger dans ma pensée, mais j’y bouge plus que vous en réalité, barbes d’ânes, cochons pertinents, maîtres du faux verbe, trousseurs de portraits, feuilletonistes, rez-de-chaussée, herbagistes, entomologistes, plaie de ma langue.
Je vous l’ai dit, que je n’ai plus ma langue, ce n’est pas une raison pour que vous persistiez, pour que vous vous obstiniez dans la langue.
Allons, je serai compris dans dix ans par les gens qui feront aujourd’hui ce que vous faites. Alors on connaîtra mes geysers, on verra mes glaces, on aura appris à dénaturer mes poisons, on décèlera mes jeux d’âme.
Alors tous mes cheveux seront coulés dans de la chaux, toutes mes veines mentales, alors on percevra mon bestiaire, et ma mystique sera devenue un chapeau. Alors on verra fumer les jointures des pierres, et d’arborescents bouquets d’yeux mentaux se cristalliseront en glossaires, alors on verra choir des aérolithes de pierre, alors on verra des cordes, alors on comprendra la géométrie sans espaces, et on apprendra ce que c’est que la configuration de l’esprit, et on comprendra comment j’ai perdu l’esprit.
Alors on comprendra pourquoi mon esprit n’est pas là, alors on verra toutes les langues tarir, tous les esprits se dessécher, toutes les langues se racornir, les figures humaines s’aplatiront, se dégonfleront, comme aspirées par des ventouses desséchantes, et cette lubrifiante membrane continuera à flotter dans l’air, cette membrane lubrifiante et caustique, cette membrane à deux épaisseurs, à multiples degrés, à un infini de lézardes, cette mélancolique et vitreuse membrane, mais si sensible, si pertinente elle aussi, si capable de se multiplier, de se dédoubler, de se retourner avec son miroitement de lézardes, de sens, de stupéfiants, d’irrigations pénétrantes et vireuses, alors tout ceci sera trouvé bien, et je n’aurai plus besoin de parler. »
Antonin Artaud, le Pèse-Nerfs / 1925

Antonin Artaud

 

Antonin Artaud – La Machine de l’être ou Dessin à regarder de traviole, 1946

Antonin Artaud – La Machine de l’être ou Dessin à regarder de traviole, 1946

Antonin Artaud – Le Théâtre de la cruauté,1946

Antonin Artaud – Le Théâtre de la cruauté,1946

Antonin Artaud- Couti l'anatomie, septembre 1945

Antonin Artaud- Couti l’anatomie, septembre 1945

Antonin Artaud -Portrait de Paule Thevenin,1947

Antonin Artaud -Portrait de Paule Thevenin,1947

Antonin Artaud, La Maladresse sexuelle de dieu, 1946 (2)

Antonin Artaud, La Maladresse sexuelle de dieu, 1946 (2)

Antonin Artaud, Carte postale a Jeanne Toulouse decoree d'un dessin, 1921

Antonin Artaud, Carte postale a Jeanne Toulouse decoree d’un dessin, 1921

 

Antonin Artaud – La tête bleue

Monsieur le législateur,

Monsieur le législateur de la loi de 1916, agrémentée du décret de juillet 1917 sur les stupéfiants, tu es un con
Ta loi ne sert qu’à embêter la pharmacie mondiale sans profit pour l’étiage toxicomanique de la nation
parce que
1° Le nombre des toxicomanes qui  s’approvisionnent chez le pharmacien est infime;
2° Les vrais toxicomanes ne s’approvisionnent pas chez le pharmacien;
3° Les toxicomanes qui s’approvisionnent chez le pharmacien sont tous des malades;
4° Le nombre des toxicomanes malades est infime par rapport à celui des toxicomanes voluptueux;
5° Les restrictions pharmaceutiques de la drogue ne gêneront jamais les toxicomanes voluptueux et organisés;
6° Il y aura toujours des fraudeurs;
7° Il y aura toujours des toxicomanes par vice de forme, par passion;
8° Les toxicomanes malades ont sur la société un droit imprescriptible, qui est qu’on leur foute la paix.
C’est avant tout une question de conscience.
la loi sur les stupéfiants met entre les mains de l’inspecteur-usurpateur de la santé publique le droit de disposer de la douleur des hommes; c’est une prétention singulière de la médecine moderne que de vouloir dicter ses devoirs à la conscience de chacun.
Tous les bêlements de la charte officielle sont sans pouvoir d’action contre ce fait de conscience : à savoir, que, plus encore que de la mort, je suis le maître de ma douleur. Tout homme est juge, et juge exclusif, de la quantité de douleur physique, ou encore de vacuité mentale qu’il peut honnêtement supporter.

Lucidité ou non lucidité, il y a une lucidité que nulle maladie ne m’enlèvera jamais, c’est celle qui me dicte le sentiment de ma vie physique. Et si j’ai perdu ma lucidité, la médecine n’a qu’une chose à faire, c’est de me donner les substances qui me permettent de recouvrer l’usage de cette lucidité.
Messieurs les dictateurs de l’école pharmaceutique de France, vous êtes des cuistres rognés : il y a une chose que vous devriez mieux mesurer; c’est que l’opium est cette imprescriptible et impérieuse substance qui permet de rentrer dans la vie de leur âme à ceux qui ont eu le malheur de l’avoir perdue.
Il y a un mal contre lequel l’opium est souverain et ce mal s’appelle l’Angoisse, dans sa forme mentale, médicinale, physiologique, logique ou pharmaceutique, comme vous voudrez.

L’Angoisse qui fait les fous.
L’Angoisse qui fait les suicidés.
L’Angoisse qui fait les damnés.
L’Angoisse que la médecine ne connaît pas.
L’Angoisse que votre docteur n’entend pas.
L’Angoisse qui lèse la vie.
L’Angoisse qui pince la corde ombilical de la vie.
Par votre loi inique vous mettez entre les mains de gens en qui je n’ai aucune espèce de confiance, cons en médecine, pharmaciens en fumier, juges en mal-façon, docteurs, sages-femmes, inspecteurs-doctoraux, le droit de disposer de mon angoisse, d’une angoisse en moi aussi fine que les aiguilles de toutes les boussoles de l’enfer.
Tremblement du corps ou de l’âme, il n’existe pas de sismographe humain qui permette à qui me regarde d’arriver à une évaluation de ma douleur plus précise, que celle, foudroyante, de mon esprit!

Toute la science hasardeuse des hommes n’est pas supérieure à la connaissance immédiate que je puis avoir de mon être. Je suis seul juge de ce qui est en moi.
Rentrez dans vos greniers, médicales punaises, et toi aussi, Monsieur le Législateur Moutonnier, ce n’est pas par amour des hommes que tu délires, c’est par tradition d’imbécilité. Ton ignorance de ce que c’est qu’un homme n’a d’égale que ta sottise à le limiter.
Je te souhaite que ta loi retombe sur ton père, ta mère, ta femme, tes enfants, et toute ta postérité. Et maintenant avale ta loi. Antonin Artaud Lettre adressée à son medecin

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Artaud – Sorts
” C’est en 1938, à l’asile de Ville-Evrard, que j’ai construit mes premiers gris-gris./ Sur de petites feuilles quadrillées de papier perdu d’écolier je composai de passives figures, comme des têtes ravagés d’asthmes, d’affres et de hoquets.” ” Le but de toutes ces figures dessinées et coloriées était un exorcisme de malédiction, une vitupération corporelle contre les obligations de la forme spatiale, de la perspective, de la mesure, de l’équilibre, de la dimension […]./ Et les figures donc que je faisais étaient des sorts – que je brûlais avec une allumette après les avoir aussi méticuleusement dessinées.”
«Il ne s’agit pas ici de dessins au propre sens du terme, d’une incorporation quelconque de la réalité par le dessin. Ils ne sont pas une tentative pour renouveler l’art auquel je n’ai jamais cru du dessin non mais pour les comprendre il faut les situer d’abord. Ce sont 50 dessins pris à des cahiers de notes littéraires, poétiques psychologiques, physiologiques magiques magiques surtout magiques d’abord et par-dessus tout.»

a été adressé à Sonia Mossé en 1939

Antonin Artaud / Lettre d’envoûtement adressée au docteur Léon Fouks, datée du 8 mai 1939

Antonin Artaud, Cahier avec “autoportrait au couteau”, mars 1947, 22 x 17,5 cm, BNF

 

 

Abel Gance- Antonin Artaud in the 1932 version of Mater Dolorosa

Abel Gance- Antonin Artaud in the 1932 version of Mater Dolorosa

Dr Gaston Ferdière ry Antonin Artaud à l’hôpital psychiatrique : Veille de la sortie de Rodez (24 mai 1946)

Portrait of Antonin Artaud by Denise Colomb, 1947.