Georges Bataille – Madame Edwarda

« De mon hébétude, une voix, trop humaine, me tira. La voix de Mme Edwarda, comme son corps gracile, était obscène :
– Tu veux voir mes guenilles ? disait-elle
Les deux mains agrippées à la table, je me tournai vers elle. Assise, elle maintenait haute une jambe écartée : pour mieux ouvrir la fente, elle achevait de tirer la peau des deux mains. Ainsi les « guenilles » d’Edwarda me regardaient, velues et roses, pleines de vie comme une pieuvre répugnante. Je balbutiai doucement :
– Pourquoi fais-tu cela ?
– Tu vois, dit-elle, je suis DIEU…
– Je suis fou…
– Mais non, tu dois regarder : regarde !
Sa voix rauque s’adoucit, elle se fit presque enfantine pour me dire avec lassitude, avec le sourire infini de l’abandon : « Comme j’ai joui ! »

Mais elle avait maintenu sa position provocante. Elle ordonna :
– Embrasse !
– Mais…, protestai-je, devant les autres ?
– Bien sûr !
Je tremblais : je la regardais, immobile, elle me souriait si doucement que je tremblais. Enfin, je m’agenouillai, je titubai, et je posai mes lèvres sur la plaie vive. Sa cuisse me caressa mon oreille : il me sembla entendre un bruit de houle, on entend le même bruit en appliquant l’oreille à de grandes coquilles. Dans l’absurdité du bordel et dans la confusion qui m’entourait (il me semble avoir étouffé, j’étais rouge, je suais), je restai suspendu étrangement, comme si Edwarda et moi nous étions perdus dans une nuit de vent devant la mer. »
Georges Bataille ( sous le pseudonyme de Pierre Angélique) – Madame Edwarda (extrait)   (Édition du Solitaire [Robert Chatté], 1937 [1941] ; nouvelle version revue par l’auteur, et enrichie de trente gravures par Jean Perdu (Chez le Solitaire [Georges Blaizot], 1942 ; préface de Georges Bataille, Jean-Jacques Pauvert, 1956).